Interview d’Amaury Grisel, adepte de shibari depuis 25 ans

Il se démarque par son travail autour de la matière avec pour sujet de prédilection le corps en tant qu’objet érotique, l’artiste plasticien Amaury Grisel ne cache pas son amour pour le shibari. Fort de ses 25 ans d’expériences, il retrace presque l’histoire du shibari en France, et en Europe, à travers son histoire personnelle et sa pratique qu’il considère tantôt acrobatique, tantôt sexuelle. Interview d’un (presque) maître.

Lou : Tu es photographe et artiste plasticien érotique, comme tu te définis toi-même. Comment en es-tu venu à t’intéresser au shibari ?

Amaury : J’ai commencé à m’y intéresser il y a 25 ans en découvrant le travail du photographe japonais Nobuyoshi Araki. A l’époque, il n’y avait pas vraiment de lieu pour apprendre mais c’est resté dans un coin de ma tête. Plus tard, il y a une quinzaine d’années, j’ai fait des rencontres qui m’ont ouvert au milieu dans le sens où j’ai rencontré des gens qui pratiquaient et d’autres qui apprenaient et qui m’ont emmené à des ateliers de shibari. Cela étant dit, au départ, c’était surtout le côté esthétique pour la photographie qui m’intéressait.

Lou : Parmi ces rencontres que tu as faites, y avait-il des maîtres shibari ?

Amaury : Plutôt des gens qui étaient en quête d’apprentissage, à Paris et à Berlin aussi. Mais le shibari était un petit milieu avec peu de pratiquants, d’autant que ceux qui détenaient le savoir étaient d’accord pour t’attacher mais pas pour te montrer comment attacher. Il n’y avait pas vraiment de transmission de savoir. Le shibari se pratiquait pas mal dans le milieu queer que je fréquentais à l’époque mais il n’était pas question de partage de connaissances.

Shibari en suspension.
L’art des cordes demande une technique irréprochable.
Lou : Tu dis que le shibari se pratiquait dans le milieu queer, était-ce aussi le cas dans le milieu BDSM ?

Amaury : Oui. Je ne le fréquentais pas trop mais le peu que je l’ai côtoyé, le shibari se pratiquait tout autant que dans le milieu queer. Après, il y a shibari et bondage. De ce que j’en ai vu dans le milieu BDSM de l’époque, c’était plutôt du bondage.

Lou : Où places-tu la différence entre les deux ? Est-ce une question de visée artistique qu’il y a dans le shibari et non dans le bondage ?

Amaury : Je ne pense pas qu’il n’y ait pas de visée artistique dans le bondage. Pour moi, la différence tient plutôt dans la manière de positionner les cordes et de faire les noeuds. Dans le bondage, on va serrer assez fort, attacher différentes parties du corps séparément et laisser la personne immobilisée alors que dans le shibari, le corps est attaché dans sa globalité et il y a quand même plus de figures, que ce soit au sol ou en suspension. Dans le shibari, il y a aussi un côté voyage intérieur et voyage sensoriel. Enfin, il n’est pas seulement question d’attacher mais aussi de caresser et transmettre des émotions avec les cordes.

Lou : Tu t’intéresses au shibari il y a 25 ans et commences vraiment à pratiquer il y a 15 ans, comment t’es-tu formé ?

Amaury : Je me suis formé principalement dans deux ateliers. Le premier, auprès d’un français qui avait un shibari assez peu orthodoxe dans le sens où il avait fait des recherches sur Internet et avait fait sa propre ingénierie du shibari. Ce n’était pas vraiment du shibari japonais. Et le deuxième, c’était très drôle car il apprenait en même temps que nous pendant l’atelier ! Il avait son petit livre et il suivait les étapes. C’était super bizarre avec le recul mais ces deux ateliers m’ont quand même permis de mettre un pied dedans. Ensuite, j’ai pratiqué seul pendant environ 5 ans en rencontrant des gens dans des clubs BDSM ou avec mes ami.e.s ! Après, il y a eu l’ouverture de la Place des Cordes où ils ont fait venir les plus grands maîtres du Japon et d’Occident afin qu’il y ait un vrai partage de connaissances. Moi, à ce moment-là, j’étais le photographe officiel du lieu donc j’avais accès à tous les workshops en échange des photos que je faisais. Le lieu a plus tard toutefois été visé par des témoignages d’abus.

Shibari au sol.
Quand l’esthétique japonaise se mêle aux cordes.
Lou : Aujourd’hui, le shibari représente quoi dans ta vie ?

Amaury : Je pense que c’est ma vie parallèle, le sens de ma vie je dirais même ! Le shibari a vraiment été une occupation H24 pendant pas mal de temps. J’ai fait des performances publiques,  j’ai enseigné, j’ai participé à des workshops partout en France. J’étais d’ailleurs à la Paris Fetish Week récemment.

Lou : Et dans ta vie privée ?

Amaury : J’ai autant pratiqué. D’ailleurs, c’est ma femme qui a souvent été ma partenaire lors des performances publiques. On en fait moins maintenant mais on voyageait vraiment dans toute l’Europe pour le shibari.

Lou : Est-ce toujours la même technique pour attacher quelqu’un ?

Amaury : Non. Chaque personne qui attache a une façon spécifique de le faire. Ce qui est intéressant quand tu voyages pour des workshops est que tu peux développer ta technique d’attache en regardant d’autres attacher. Parfois, c’est super chiant j’avoue mais des fois, c’est fascinant. Tu peux être en face d’un shibari complètement acrobatique, érotique ou encore carrément sexuel !

Shibari en semi-suspension.
Encore et toujours Franckie, compagne et muse d’Amaury Grisel.
Lou : Comment caractériserais-tu justement ton style de shibari ?

Amaury :  Quand je suis en performance, j’ai un style de shibari très acrobatique et dans le mouvement. Sinon, cela dépend de si je me positionne en tant que photographe ou non. Pour la photo, je vais avoir un shibari très endurant avec des sessions qui vont durer 1 à 2 heures durant lesquelles il y aura plusieurs étapes, positions et/ou attitudes. J’aime aussi beaucoup jouer avec des accessoires et sur le côté exhibition. Et dans l’intimité, quand j’enlève ma casquette de photographe, je vais avoir un shibari beaucoup plus sexuel, avec pénétration ou non, car ce n’est pas forcément ce que je recherche avec ma partenaire. Mais, en tout cas, on va rechercher le plaisir dans le shibari, en utilisant des vibros et des jouets.

Lou : Au bout de tant d’années de pratique, te considères-tu comme un maître shibari ?

Amaury : Pour moi, les maîtres restent les tenants du savoir, qui sont plus les japonais. Il y a évidemment aussi quelques personnes en Europe qui méritent ce titre. De mon côté, je peux simplement dire que je maîtrise certains aspects mais je ne maîtrise pas tout. Et de toute façon, on a toujours à apprendre. C’est pourquoi, il serait un peu présomptueux de ma part de me définir comme un maître.

https://www.instagram.com/agriselshibari/

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